Peux-tu m’en dire un peu plus sur ton job au quotidien ?

J’ai passé 15 ans en CDI. J’ai toujours été au carrefour des métiers du marketing, de la communication, des médias et du conseil. Pendant ces 15 ans, je suis passée dans 7 entreprises différentes, je ne tenais pas en place. Quand le digital s’est développé avec l’arrivée des réseaux sociaux, des liens sponsorisés etc. j’ai eu cette volonté d’ajouter des cordes à mon arc. C’est aussi pour ça que j’ai autant changé d’entreprises.

Et puis j’ai pris conscience qu’il y avait une grande part de représentation et de reporting dans le rôle de manager. J’aimais mon métier, manager des gens, mais il ne représentait malheureusement plus que 50% de mon travail. Et comme on m’avait déjà missionnée pour faire un peu de formation et que ça me plaisait, je suis devenue indépendante en 2013.

 

La transformation digitale, ça veut dire quoi concrètement pour toi ?

J’adore cette question. En fait c’est un mot-valise. D’un côté, il y a l’idée de transformation, qui sous-entend que l’entreprise va passer d’un statut A à un statut B. En réalité, quand une entreprise se transforme, elle ne sait pas du tout où elle se dirige. Elle ne connaît pas exactement à quel autre état stable elle va arriver.

De l’autre côté il y a ce mot digital, assez réducteur puisque beaucoup entendent le mot outil. C’est erroné car au delà de l’outil, il y a des questions à se poser. J’adore cette citation de Cedric Price : “La technologie est la réponse, mais quelle était la question ?”

En fait se transformer c’est se demander comment développer son business dans un monde qui est en train de devenir digital. C’est harmoniser ces 4 piliers : la technologie, le business, l’humain et l’éthique.

 “La technologie est la réponse, mais quelle était la question ?”

Elle repose sur 4 piliers, et le pilier qui m’intéresse : l’humain. Comment l’entreprise peut-elle se transformer sur le plan humain ?

Ça passe par une question de développement personnel de chacun. Evidemment, on doit transformer des choses extérieures, mais avant tout il faut se remettre en question. Il faut changer les relations, ce qui veut dire changer les modes de collaboration, changer notre rapport au pouvoir. On est encore dans la culture du mérite au savoir qui postule que “celui qui est un sachant a du pouvoir”. Aujourd’hui le pouvoir passe aussi par comment faire travailler les gens ensemble pour que la valeur créée soit plus forte que si tout le monde avait travaillé chacun de son côté. En résumé, il faut redonner du sens aux gens.

 

En 2018, d’après la BPI, 46% des PME/ETI exprimaient de “sérieuses difficultés à recruter”. Les challenges du recrutement sont-ils un frein à la transformation des entreprises ?

On est entré dans une ère de flexibilité du travail et des missions. Tu peux avoir besoin d’un talent, mais jamais à 100% pendant 6 mois ou un an. Il faut constituer un écosystème dynamique d’expertise extérieure et de partage autour de ton entreprise. Mais comment ? Je pense que les entreprises devraient s’ouvrir. Et à mon sens tu ne peux maintenir cette ouverture qu’avec des personnes qui ne sont pas forcément en CDI dans l’entreprise.

 

As-tu des exemples d’entreprises qui encouragent cette démarche ?

Engie est un excellent exemple d’acculturation. Ils ont créé Skill’Lib, une “marketplace” interne où les collaborateurs mettent leurs compétences puis matchent avec des missions déposées par les managers. À la manière de crème de la crème, mais en interne.

On encourage les employés à aller travailler pendant 3, 4, 6 mois dans un autre service de l’entreprise. Les équipes sont devenues des viviers de compétences, et les collaborateurs, qui deviennent en quelque sorte des freelances de l’interne sont enchantés et in fine, les managers ont plus de facilités à travailler avec des freelances par la suite.

 

Quel rôle peuvent jouer les plateformes comme crème de la crème dans cette transformation et tous les changements en cours ?

Les organisations passent encore beaucoup par les cabinets de conseil pour aider les équipes à monter rapidement en expertise sur certains domaines (la data p.ex.). Ils sont sur la partie hard skills et amènent une expertise sectorielle.

En revanche, quand je suis passée freelance, j’ai trouvé que les relations étaient plus saines et plus authentiques. Sur le long-terme, c’est une relation d’interdépendance et de partenariat qui s’installe. C’est ce que les freelances recherchent : ils ne veulent plus être vus comme des prestataires lambda, mais comme des partenaires. Avec un cabinet de conseil, tu achètes un poste, une tranquillité.

Avec une plateforme comme crème de la crème, tu achètes les compétences d’une personne irremplaçable et une personnalité unique. Tu achètes une impartialité et une objectivité quasi-totale. Avec un freelance, tu te sens plus en confiance et tu sais qu’en fin de compte, toute l’organisation profitera de son expertise métier.

Je pense qu’aujourd’hui, l’expertise est un must-have. La personnalité, la relation de proximité, la sécurité de la valeur et l’état d’esprit sont des nice-to-have mais que l’on retrouve toujours avec un freelance.

 

Freelancing, guerre des talents : penses-tu que les directions achats des organisations, qui achètent de la prestation intellectuelle, sont conscientes de tous ces changements du monde du travail ?

Ils ont cette croyance de se dire “on a besoin de plusieurs experts, mais est-ce qu’ils vont réussir à se parler et à travailler ensemble ?” En cabinet ou en agence média, tu es plutôt en jardin fermé, et les gens sont habitués à travailler ensemble. Un cabinet vend la rassurance de sa marque, un cap de travail. Pour être efficaces, il faut que vous réussissiez à créer un référentiel, des valeurs et une méthodologie communes à tous ceux qui travaillent dans votre écosystème.

 

As-tu des livres ou des personnes qui t’inspirent sur le sujet ?

Il y a Reinventing Organizations de Frédéric Laloux qui m’a beaucoup inspirée, mais c’est une référence sur le sujet. Mais mes meilleures sources sont tout ce que je fais à côté : une expo, un article, une oeuvre d’art. J’ai essayé récemment le théâtre immersif, et ce que j’en retire s’applique aussi au management : au lieu d’être spectateur de l’art j’en deviens un acteur. On va vers un monde collaboratif, plus horizontal, participatif. C’est comme ça que j’explique la transformation aux gens : grâce aux analogies et au storytelling. Ma vie perso nourrit ma vie pro.  

 

Et le mot de la fin : si tu devais convaincre les organisations de travailler avec des freelances ?

Je leur dirais de se poser les bonnes questions. Comme par exemple :

  • Comment, dans cette évolution perpétuelle et rapide des expertises, va-t-on en tant qu’organisation, rester à la pointe de telle ou telle méthodologie ?
  • Comment envisager, dans une relation de travail, un lien plus proche du partenariat que de la prestation de service ?

Il faut surtout se dire que l’entreprise a un travail à faire sur elle, sur où elle veut et sur les enjeux qui peuvent rendre une collaboration fructueuse.

Mais Emmanuel (Vivier, co-fondateur du HubKlub) disait l’autre jour à 30 directeurs RH : “Faites attention à vos talents parce que c’est eux qui partiront en premiers pour devenir freelances. D’ailleurs, les meilleurs aujourd’hui on les trouve déjà chez les freelances.”